Le passage à l’ère industrielle pour l’exploitation des centrales de production renouvelable
Alors que la filière subi sa part d’incertitude liée aux convulsions institutionnelles que connaît la France (la PPE3 qui, rappelons-le, devait porter sur la période 2024-2033 et devait être adoptée mi-2023, est en consultation pour 6 semaines en cette fin d’année, pour une adoption au plus tôt en 2025), les manifestations d’irritation se sont multipliées en cette fin d’année. Les PDG d’EDF[1] et de TotalEnergies se sont ainsi exprimés autour des freins à l’investissement en France que constitue la multiplication des procédures, et d’une loi d’accélération des énergies renouvelables qui aurait eu l’effet inverse de celui recherché.
Pour l’année à venir, E-CUBE suivra les évolutions des politiques publiques mais sera également particulièrement attentif à l’enjeu croissant d’industrialisation de l’activité de producteur renouvelable. Si la priorité opérationnelle a longtemps été mise sur le développement, avec des portefeuilles atteignant plusieurs centaines de MW, l’accent est désormais mis sur l’exploitation performante et la qualité des MW développés. Plusieurs facteurs tirent cette inflexion des priorités :
- La dégradation de la performance et l’inflation des coûts de mise à l’échelle – Pour les exploitants de petites centrales, les processus et outils (souvent développés en interne) qui permettaient de gérer un portefeuille de quelque dizaines de MW ne permettent plus d’administrer un portefeuille 10 fois plus grand : le besoin en ressources commence à croître plus rapidement que le portefeuille, et la qualité de gestion (énergie non valorisée, non respect des obligations contractuelles, capacité à lever de la dette en temps et en heure etc.) est dégradée. La migration sur des outils permettant d’automatiser les tâches et de gagner en productivité est souvent compliquée par la faible disponibilité d’équipes débordées par la croissance des parcs.
- La pression des actionnaires – De nombreux producteurs ont fait entrer à leur capital des investisseurs financiers qui sont attentifs à l’évolution de la taille des équipes et qui prennent souvent pour référence des benchmarks difficiles à interpréter (portefeuilles non comparables, choix d’internalisation / externalisation différents etc.)
- La consolidation – Les portefeuilles sont généralement hétérogènes, soit parce que résultants de l’acquisition d’actifs développés par des tiers, soit que les développeurs aient eux-mêmes changés de référentiel technique. Cette hétérogénéité technique complexifie l’exploitation et ajoute à la dégradation de la performance
- Les prix négatifs – si les centrales en complément de rémunération sont déjà incitées à s’effacer lors des épisodes de prix négatifs, il est probable que les centrales sous obligation d’achat le soient également à l’avenir. Si cette exigence porte également sur les centrales existantes, une vague de mise à niveau technique devra être engagée.
- L’exploitation conjointe production et batteries – plusieurs facteurs (baisse des prix de marché en période méridienne, niveau et volatilité des prix, coûts et délais d’accès à la puissance…) tendent à favoriser l’installation et l’exploitation conjointe de production et de stockage. Processus et organisation doivent être ajustés pour intégrer le facteur de complexité supplémentaire introduit par l’hybridation des parcs
- La multiplication des contreparties et des cadres contractuels – Les producteurs s’intègrent verticalement et deviennent fournisseurs d’électricité – les contreparties ne sont plus simplement EDF OA et les agrégateurs mais des contractants consommateur de l’électricité. La diversité des bailleurs augmente dans le cadre de l’agrivoltaïsme qui pourrait distinguer exploitant agricole et propriétaire foncier. Et au sein de chaque type de bailleurs, les clauses contractuelles peuvent également varier (p.e. avec de nouvelles obligations de démontrer un certain niveau d’exploitation agricole dans le cadre de contrats d‘agrivoltaïsme).
Dès lors, les producteurs indépendants sont à risque de se laisser déborder par cette complexité, qui s’accommode mal de l’esprit start-up qui prévalait dans leurs premières années.
En 2025, les questions qui sont sur la table sont notamment :
- Stratégiques : spécialisation sur certains types d’installations afin de faciliter l’industrialisation et la recherche d’effets d’échelle, avec des implications autant sur le développement futur que sur une rationalisation potentielle du portefeuille existant
- Organisationnelles : place de la gestion d’actif entre la direction financière et la direction des opérations ; périmètrage de la gestion d’actif entre les fonctions d’administration, comptable et les fonctions d’exploitation et de maintenance
- Make-or-buy : niveau d’externalisation, choix des activités à externaliser (les fonctions à faibles valeur ajoutée, celles qui supervisent les petites centrales vs. les grandes centrales…), compatibilité de l’externalisation de l’asset management et de l’exploitation maintenance, modèle d’incitation à la performance des sous-traitants
- Processus : continuité des processus entre construction, mise en service et exploitation
- Outils : s’appuyer sur des solutions logicielles quitte à se retrouver captif en cas d’évolution défavorables des prix de licence ou du périmètre fonctionnel, choix des fonctions à conserver en interne
Ces questions s’inscriront par ailleurs dans un contexte de marché où la robustesse financière des plus petits producteurs indépendants (IPP) aura été remise en cause en 2024, et où se pose la question de leur financement plus long-terme. À défaut d’une consolidation du marché (encore peu de M&A entre acteurs et un paysage concurrentiel qui reste toujours dynamique), celui-ci tend néanmoins vers une professionnalisation et vers un modèle dominé par 2 types d’acteurs avec des poches suffisamment profondes : les grands énergéticiens (EDF, Engie, TotalEnergies directement présents sur le marché, Axpo au travers de ses filiales Volkswind et Urbasolar, …), et les développeurs de plus en plus adossés à de grands fonds d’investissement (Brookfield entre au capital de Neoen, Ardian en négociation pour le rachat d’Akuo, …).
E-CUBE a développé une forte expertise sur le sujet d’électricité renouvelable à travers ses projets récents et l’expérience de ses consultants. Nous serions heureux d’échanger avec vous sur ces perspectives de marché et opportunités. N’hésitez pas à contacter les experts ci-dessous pour planifier une discussion sur le sujet.
[1] Interventions de Luc Rémond et Patrick Pouyanné lors de la convention UFE de décembre 2024