Quels enseignements pour le black-out du 28 avril en Espagne ?

 Quels enseignements pour le black-out du 28 avril en Espagne:

  • la préfiguration d’un problème chronique pour les pays engagés dans le développement du renouvelable ?
  • un défaut de planification des instruments de flexibilité nécessaires au fonctionnement des systèmes énergétiques décarbonés ?
  • ou un événement indépendant du mix électrique ?

Le 28 avril, la péninsule ibérique a subi un black-out quasi-complet. Un incident d’une telle ampleur ne s’était pas produit en Europe depuis le black-out partiel de 2006 en France et celui survenu en Italie en 2003. Si plusieurs causes semblent être écartées (cyberattaque, sous-dimensionnement du réseau, événement climatique exceptionnel, incident sur le réseau français…), les raisons de ce black-out ne sont pas encore connues.  Le groupement des gestionnaires de réseaux européens, ENTSO-E, a lancé une enquête. Un panel de dix experts fera d’abord un rapport factuel sur l’incident, et donnera ensuite une liste de recommandations, attendues sous 6 mois. Cela n’a pas empêché de nombreuses voix de s’élever en Europe [1] pour s’appuyer sur cet incident pour réitérer des critiques, sur l’ampleur de la transition du système électrique (plus de la moitié de la capacité installée en Espagne est du PV ou de l’éolien), ou sa rapidité (+ 6 GW de PV, + 1,3 GW d’éolien en 2024).

L’enchaînement de certains faits est connu : à partir de 12h32 et 57 secondes, trois centrales de production ont été successivement déconnectées, représentant la perte de 2,2 GW en 20 secondes, provoquant une baisse progressive de la fréquence jusqu’à être inférieure à 48 Hz. Cette perte importante a déclenché à son tour  les plans de coupures automatiques de la consommation et la déconnexion en cascade de la plupart des unités de production ibériques, ainsi que de la liaison électrique avec la France et l’Europe, menant au black-out généralisé.

À titre de comparaison, le black-out italien de 2003 avait pris deux minutes et trente secondes pour se propager à l’ensemble du pays après le découplage de son réseau du reste du réseau européen. Quelle est l’origine de la déconnexion des 3 centrales ? Ces trois événements sont-ils corrélés  ? Comment expliquer un effondrement aussi rapide du réseau ibérique, et en quoi celui-ci diffère-t-il des réseaux d’autres régions du monde ayant un mix électrique similaire ? Est-ce une preuve de l’incapacité du renouvelable à représenter une part importante du mix ?

Juste avant le black-out, le mix de production espagnol était constitué près de 2/3 de production renouvelable intermittente. Pourtant, une telle proportion n’était pas inédite : sur les 12 mois précédents, la production cumulée de ces deux filières était avait atteint ou dépassé ces niveaux (en % de la demande) durant plus d’une centaine d’heure. Ces taux de couverture de la demande par des EnR (hors hydraulique) sont aussi communs dans d’autres zones d’équilibrage :

  • le système électrique californien, dont près de 30% de la production provenait du solaire et de l’éolien en 2024, connaît régulièrement des pics de production de ces filières à plus de 2/3 de son mix
  • Le mix allemand, dont 45 % de la production repose sur du solaire et de l’éolien en 2024, connaît aussi des pics de production de plus  de 2/3 du mix à partir de ces filières

Ces deux zones diffèrent néanmoins de l’Espagne sur un point : des politiques publiques ont récemment été mises en place pour déployer massivement le stockage électrique via des batteries – la Californie compte 15 GW de batteries, soit une proportion de 1 GW de batteries pour 2 GW de PV ; et 16 GW en Allemagne, soit 1 pour 6 de PV. Elles sont largement mieux interconnectées (plus de 20 GW d’interconnexion en Allemagne et jusqu’à 20 GW en Californie). En comparaison, l’Espagne ne disposait en 2024 que de 1 GW de stockage (thermique et utility-scale, associé à la production de solaire thermique) hors hydroélectricité, soit respectivement 1 pour 30 de PV, et moins de 5 GW d’interconnexions. En Californie, le 8 juin dernier, le photovoltaïque produisait plus d’énergie que la demande ; l’excédent (avec celui de la production éolienne, et de l’hydroélectricité fatale) était absorbé par le parc de batteries qui a restitué cette énergie plus tard, en soirée, lorsque la production solaire a diminué.

Le black-out du 28 avril ne remet donc pas en cause a priori la viabilité d’un mix électrique majoritairement renouvelable [2]. Indépendamment de l’origine du black-out, c’est l’opportunité de questionner la relative fragilité des systèmes électriques européens [3] et d’identifier les  décisions clés pour réussir la transition énergétique en Europe :

  • Quel est le rôle des batteries et du stockage longue durée à l’avenir, et comment faciliter le développement du stockage dont la difficulté d’accès au réseau et les modèles d’affaires exposés à la volatilité des marchés peuvent renchérir le coût ou ralentir le développement?
  • Comment développer les interconnexions, notamment dans un schéma qui soit bénéfique pour l’ensemble des pays concernés, et sans accroître le risque de propagation d’un black-out régional ?
  • Quelles règles mettre en œuvre afin d’intégrer au mieux les actifs renouvelables ? Que ce soit en termes de flux d’information (qualité de la prévision et de la programmation), que de participation des renouvelables aux mécanismes d’équilibrage (aFRR/mFRR) ?
  • Des évolutions du fonctionnement des marchés sont-elles nécessaires pour apporter une valorisation spécifique à l’inertie apportés par certains actifs de production et de flexibilité, voire pour inciter directement l’ajout de capacités grid-forming au système électrique ?
  • Comment améliorer l’articulation de la consommation d’électricité à la production renouvelable, et notamment le développement de la flexibilité de certains usages (véhicule électrique, chaudières électriques, chauffe-eau, etc.), afin de faire coïncider ces usages avec les périodes de production d’électricité renouvelable?

[1] La nouvelle ministre allemande de l’Économie, Katherina Reiche a ainsi évoqué l’incident à l’appui du projet de construction de nouvelles centrales au gaz et/ou à l’hydrogène en Allemagne.

[2] La Californie a connu des périodes de tension de son système électrique en 2020 et en 2022, mais celles-ci étaient liées à un pic de demande dû à la chaleur estivale et non à la proportion de renouvelable dans le mix électrique.

[3] Les black-out restent très rares sur le réseau européen, qui est plus résilient que les réseaux nord-américains (en termes des indicateurs SAIDI et de SAIFI)

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